Le procès opposant Ousmane Sonko à Adji Sarr, qui s’est tenu le 23 mai 2023, au tribunal de Dakar a été un révélateur, une fois de plus, de la romantisation et de la banalisation du viol au Sénégal.

En effet, une revue des différentes unes de la presse au lendemain dudit procès, ne laisse aucun doute sur cet état de fait : https://www.seneplus.com/media/le-proces-adji-sarr-ousmane-sonko-la-une-du-point-de-lactualite . Les mots choisis pour relater le récit de Adji Sarr à la barre ressemblent à des scènes pornographiques. Cette confusion volontaire entre le viol et la sexualité a une fonction bien précise ; elle glamourise le viol et renforce l’impunité des auteurs de violences sexuelles.

Deux questions sont à poser : « Ça excite qui d’entendre un récit de viol ? » et « Est-ce que Adji Sarr qui a porté plainte pour viols et menaces de mort et qui a vu sa vie être sous cloche depuis l’éclatement de cette affaire, ressent du plaisir à raconter les viols qu’elle a subis ?

Dans l’imaginaire collectif, le viol est un acte violent ou des traces de lutte doivent apparaître et une femme violée devrait en garder des séquelles toute sa vie. Il y a combien de viols qui se passent dans nos maisons ? Combien de filles sont violées et vont faire ce qu’elles ont à faire en marchant normalement, sans que personne ne s’en rende compte ? L’affaire des 27 filles violées à Touba en est un exemple. Si le viol est défini et puni par la loi aussi sévèrement, s’il est devenu un crime, c’est bien parce qu’il n’a rien à voir avec la sexualité. Le viol, c’est de la domination, c’est considérer la femme comme un objet et son corps comme un terrain de jeu sans règles. Le viol est endémique au Sénégal, il suffit de faire un tour dans les boutiques de droit de l’association des juristes sénégalaises, et renforcer la culture du viol ne fait que stigmatiser les survivantes de violences sexuelles et déresponsabiliser les auteurs.

Le simple fait qu’Adji Sar soit vivante et témoigne des viols qu’elle a subis est un point contre elle, car une « bonne victime » de viol est une victime morte. Les hommes se prennent pour la norme. Les propos abjects prononcés par Ousmane Sonko au lendemain du procès pour se défendre prennent racine dans cette culture du viol et dans la haine envers les femmes.

Le voyeurisme a aussi atteint des sommets avec des commentaires sur la vie intime d’Adji Sarr dont le corps est devenu un « objet public ». Ndeye Fatou Kane, écrivaine et féministe rappelait, dans un entretien accordé à Seneweb, comment l’objectification du corps d’Adji Sarr était un élément central dans cette affaire (https://www.seneweb.com/news/Entretien/ndeye-fatou-kane-ecrivaine-ldquo-l-rsquo_n_377077.html ).

J’ai découvert, avec ce procès, que le viol faisait fantasmer les hommes sénégalais. Ils prennent du plaisir à en parler, ça les excite vraisemblablement, parce que, pour eux, le viol, « ce n’est pas grave ! ». Entendre qu’un « viol ne peut pas être répétitif » ou « pourquoi elle n’a pas crié », font culpabiliser les survivantes. Il faudrait se demander quels sont les mécanismes mis en place par les agresseurs pour s’assurer que les survivantes ne parlent pas.

La fabrique de la « mauvaise victime »

Dès le début de cette affaire, les masculinistes ont très vite envahi les plateaux télé et radio et des partisans de Sonko ont inondé les médias de fakenews. Des « preuves » ont été créés pour enfoncer Adji Sarr, pour la décrédibiliser. J’ai moi-même entendu à la radio un témoignage hallucinant d’un homme qui se disait être un petit ami de l’époque de la jeune fille et qui expliquait qu’elle a toujours été « vénale ». Toute cette machination n’est pas sans rappeler l’affaire Amber Heard/ Johnny Depp. Je recommande le documentaire « La fabrique du mensonge : Affaire Johnny Depp / Amber Heard, la justice à l’épreuve des réseaux sociaux » diffusée sur France 5, le 12 février 2023. Le documentaire revient le rôle joué par les partisans de Deep qui ont lancé des raids numériques contre Amber Head, propagé de fausses informations, dans le but d’imposer leur récit sur l’opinion publique.

Ce sont les hommes qui sont les experts du viol sur les plateaux télés. Pour rappel, l’écrasante majorité des auteurs de viols sont des hommes, et ce sont ces mêmes hommes qui sont les « experts » de comment une « bonne victime » devrait réagir. Cela vaut pour tous les sujets sur lesquels les hommes ont un certain pouvoir sur les femmes.

Après un viol, un état de stress post traumatique est retrouvé dans 80 % des cas. Le fait d’avoir subi des violences représente un des principaux facteurs de risque pour de nombreuses pathologies cardiovasculaires, pulmonaires, endocriniennes, auto-immunes et, neurologiques. Des travaux scientifiques récents éclairent sur les mécanismes neuro-psycho-biologiques, notamment le rôle de l’amygdale et de l’hippocampe, qui sont en lien avec la santé mentale.

Je repartage l’excellent article de ma consœur, Ndeye Khaira Thiam sur les conséquences des traumatismes à caractère sexuels dans la lettre qu’elle avait adressée au président de la République, Macky Sall « https://www.seneplus.com/opinions/pour-que-cesse-la-cruaute-envers-les-enfants ».

La responsabilité des médias

Sur les plateaux télé, même constat avec des propos immondes et irresponsables de certains chroniqueurs, n’ayant aucune compassion ni respect pour les survivantes de violences sexuelles. Dans ce registre, Malal Talla alias Fou malade, chroniqueur sur le plateau de Jakarlo du 26 mai 2023 emporte le bonnet d’âne : « Si je baise une femme, ça laisse des traces forcément. » C’est ce vocabulaire guerrier, machiste et violent qui renforce les stéréotypes, et on remarquera que la femme est toujours en position d’objet. Il en est de même pour le très volubile Dame Mbodji, enseignant et partisan de Sonko qui fait l’apologie du viol et dont les propos passent en boucle sur le réseau social TikTok.

Les journalistes sont dans une paresse intellectuelle affligeante quand il s’agit des violences sexuelles spécifiquement et des violences faites aux femmes de façon générale. Alors que la littérature abonde de ces sujets, des effets de la sidération et de la dissociation qui empêchent toute réaction, des effets à moyen et long terme des violences sexuelles sur la qualité de vie des survivantes de violences sexuelles. Le choix des mots n’est pas neutre, on ne dit pas « elle s’est fait violer » mais « elle a été violée ».

Il est essentiel de faire appel à des spécialistes des violences sexuelles pour aider à la compréhension des réactions plutôt que d’inviter des personnes qui ne font que renforcer les idées reçues. Les femmes sont le seul groupe dont on peut parler des choses qui les concernent sans s’assurer d’avoir les compétences préalables. Après tout, n’importe qui a un savoir sur les femmes !

Des survivantes vous lisent, elles vous écoutent, il y a des survivantes avec qui vous habitez, il y a des survivantes de viol partout dans ce pays. Il est du devoir de tous et de toutes de traiter les violences sexuelles avec toute la gravité qui sied. Il est temps que ce que les femmes vivent ne soit plus tourné en dérision par des pseudo experts en tout et rien qui écument les plateaux télé et radios à la quête de notoriété ou pour défendre un homme politique qui allait en plein couvre-feu dans le salon Sweet beauté, mais qui n’a pas le courage de faire face à une gamine de 20 ans au tribunal pour se disculper.

Les médias doivent travailler avec les associations qui sont sur le terrain pour éliminer la stigmatisation et la honte associées aux violences sexuelles et pour créer des environnements sécurisés pour les survivantes.

A toutes les survivant.es : je vous crois, rien n’est de votre faute !

Aminata Libain Mbengue est psychologue clinicienne, féministe radicale, membre du collectif des féministes du Sénégal.

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