En Mauritanie, comme à l’instar des pays qui nous entourent, nous vivons dans des sociétés patriarcales, régies juridiquement ou tacitement par les religions.

La Mauritanie est un pays très conservateur où l’on fait difficilement la part des choses entre la religion et les traditions. La religion étant essentiellement interprétée et incarnée par des hommes (marabouts, savants, etc.), les confusions et les interprétations partisanes (en faveur du pouvoir des hommes) sont légion. À titre d’exemple : le débat sur les pratiques des mutilations génitales féminines (MGF) et sa portée religieuse font l’objet de beaucoup d’interprétations et d’amalgames, et fait ressortir également le désir de contrôler la sexualité de la fille dès sa naissance (sur des bases religieuses ou pas) – ce qui est loin d’être le cas s’agissant de la sexualité du garçon.

Le système social patriarcal est transversal à toutes les communautés sociolinguistiques mauritaniennes. Dans toutes les communautés, le pouvoir est détenu par les hommes sous des formes et à des degrés divers. C’est le cas s’agissant du pouvoir religieux, du pouvoir politique, du pouvoir économique, et ainsi de suite. Je donne l’exemple des communautés négromauritaniennes que je connais le mieux : dans nos villages, les réunions et/ou les rassemblements décisionnels du village, sont affaires d’hommes. Les femmes et les jeunes ne sont pas consultés, leurs avis comptent pour ragots de marchés. On se demanderait alors quel rôle relègue encore aujourd’hui la société aux femmes ? Quelles attentes ?

Pour répondre à ces questions, il faut en revenir aux bases, et notamment à l’éducation. Notre société nous éduque avec bien sûr des attentes différentes selon le sexe de l’enfant. Pour un garçon, beaucoup d’espoirs sont placés en lui, en particulier le fait de réussir financièrement pour subvenir aux besoins de la famille directe (les parents, les frères et sœurs, etc.) puis plus tard de sa propre famille (épouse et enfants). De ce fait, l’on mise beaucoup plus pour son éducation scolaire – sachant qu’aujourd’hui encore, la scolarisation ne concerne pas tout le monde en Mauritanie (Il y a encore des enfants qui n’ont pas accès à l’école car apatrides dans leur propre pays). Pour une fille, le plus important ce n’est pas son éducation scolaire mais plutôt sa socialisation, qui prépare sans détour à comment tenir un foyer. C’est la première compétence qu’elle doit avoir avec certification. Quand on parle de tenir un foyer, l’on entend l’ensemble des tâches domestiques, les corvées etc. Elle est garante de la propriété de la maison et des enfants. Elle doit également restée belle, bien apprêtée et au meilleur de sa forme pour le bien de tous. Tout cela, qu’elle travaille ou pas en dehors de la maison. L’éducation de ses enfants est une condition essentielle à sa réussite sociale, car bien que les enfants se fassent à deux, l’éducation de ces derniers est toujours tacitement du ressort de la maman. L’on imagine le désespoir, dans ce contexte, que représente le stérilité d’un membre d’un couple (stérilité généralement attribuée à l’épouse). En plus, des enfants, elle doit s’occuper du moindre désir du mari, même les plus asservissants. Ce mari qui aurait implicitement tous les droits sur son épouse. D’ailleurs au moindre forfait la société s’empresse de rappeler que c’est lui « l’homme », donc à la femme de tout supporter.

Cette structuration sociale très hiérarchisée et déséquilibrée engendre des violences. Des violences dans des formes très diverses. Le taux de MGF en témoigne, estimé à 66,6% de femmes mauritaniennes excisées selon le MICS 2015. Toutes les communautés mauritaniennes sont concernées, mais les groupes peuls et soninkés le sont encore plus. Cette pratique néfaste détruit des vies, complique le quotidien des femmes qui l’ont subie, elle tue. On peut ajouter qu’en s’appliquant aux corps de jeunes filles en bas âge avec l’accord des parents, les mutilations génitales viennent très tôt intégrer à l’esprit de l’enfant que le corps est l’objet de violences, et que ces violences peuvent arriver avec l’assentiment des personnes supposées nous porter de l’amour. Il est probable que cette réalité prédispose les femmes à accepter toutes sortes de violences sur leur corps (même de gens dont on attendrait plutôt de la tendresse et de l’amour), qui s’y appliqueront tout au long de leur vie.

Parmi elles, les violences conjugales sont omniprésentes avec un regard complice de la société, suivant lequel il est préférable qu’une femme reste dans son foyer plutôt que de partir sous les coups de son époux. Les auteurs ne sont ni sanctionnés ni blâmés, au contraire ils sont couverts. Les commentaires tendent même à justifier le comportement violent, par exemple par les lacunes de l’épouse (qui lui aurait manqué de respect, qui le provoquerait – dans une représentation toujours vicieuse et perfide de la femme). La société est complice dans son ensemble, comme le mettent en lumière les blocages systématiques à l’adoption de projets de loi visant à lutter contre les violences faites aux femmes. Les personnes présentes dans les instances de décision politique reflètent l’esprit de la société qu’ils sont supposés représenter.

Les agressions sexuelles déferlent les réseaux sociaux, pour celles qui sont divulguées bien sûr, la grande majorité reste sous silence car commises par des proches de la victime. Pour l’année 2020, l’association AMSME à elle seule avait répertorié : 351 victimes de viol ; 89 victimes de violences conjugales ; 5 mariages précoces ; 812 personnes assistées par la ligne verte dont : 15 viols, 84 violences conjugales, 05 mariages précoces, 118 Etat civil, 314 entre pension alimentaire, enfants orphelins ; etc. AFCF (Association des Femmes Cheffes de Famille), dans son rapport de 2021, enregistre 753 cas de viols dont 412 mineurs (390 filles et 13 garçons)

Ces chiffres ne sont que ceux de deux organisations, faisons l’exercice cérébral de cumuler les données des autres organisations qui font la prise en charge et ajoutons la grande majorité des cas non-déclarés.

Peut-on calculer le nombre de jeunes filles déscolarisées à cause d’un mariage, le nombre de jeunes femmes qui ont arrêté de travailler car leurs conjoints les y ont contraints, le nombre de femmes qui n’ont pas accès aux ressources économiques, le nombre de femmes qui se sont retrouvées seules à prendre en charge leurs enfants suite à un divorce ou à la disparition d’un père… le nombre de femmes qui subissent en silence la force destructrice du patriarcat, le nombre tué en silence.

Tous ces faits ne sont possibles que quand toute la société est complice, qu’elle est d’accord d’éduquer nos enfants de façon différenciée, de hiérarchiser en termes de droits et de normes sociales, d’établir des rapports de force entre les couches sociales.

Le changement se fait dans le temps à travers l’éducation qui couperait cours à ce système social injuste. L’Etat n’a cependant aucune excuse. Son devoir est de protéger toutes les couches sociales de la même manière, en leur garantissant le droit à la protection, à la justice et aux mesures préventives et d’accompagnement. Nous avons beaucoup d’associations qui travaillent pour les droits des femmes, qui se chargent d’accompagner les victimes au niveau médical, psychologiques et juridique. Aucune d’entre elles ne reçoit de subventions de l’État, dont un effort financier témoignerait pourtant de sa volonté de vouloir changer la donne. Elles ne sont financées que par des organisations internationales. On en est actuellement à quémander une loi spécifique sur les violences depuis 2015.

Dieynaba NDIOM

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